Le Club de l’OURS a reçu Gaël Perdriau

 Maire de Saint Etienne

sur le thème

« la République face à la fragmentation de la Société »

Intervention intégrale de Gaël Perdriau

Mesdames, Messieurs,

Lorsque les organisateurs de cette rencontre m’ont contacté pour prendre la parole, je leur ai répondu favorablement en leur demandant quel était le sujet qu’ils souhaitaient traiter.

Sujet libre m’ont-ils répondu, Pour ceux qui me connaissent, parmi vous, ils savent que dans ce cas je ne m’interdis rien !

Ce matin, alors que se profile à l’horizon une échéance politique majeure, je souhaite vous entretenir de l’avenir de la France.

L’avenir de la France vu d’après le prisme d’un élu local lambda. Un simple maire.

Lorsque vous êtes un élu local, on considère, très souvent, que ces débats ne vous concernent que de manière périphérique.

En reprenant la célèbre dichotomie des deux corps du roi chère à Ernst Kantorewic, l’élu local aurait deux corps, celui d’élu ne s’intéressant qu’à des problèmes de proximité et celui du citoyen appelé à exprimer son opinion à titre individuel.

C’est une erreur !

Je me refuse à tomber dans ce piège depuis 2014. Non par ambition personnelle mais pour une raison très simple. Les choix politiques pris au niveau national viennent, tôt ou tard, percuter les politiques publiques locales que vous conduisez.

Que vous le vouliez ou non, il est difficile de faire abstraction des orientations nationales. Dire le contraire c’est simplement mentir aux Français.

Mentir aux Français revient à entretenir le malaise démocratique qui conduit à l’explosion de notre paysage politique et à la montée inexorable des populismes.

Permettez-moi d’illustrer mon propos.

Permettez-moi d’expliquer certaines décisions prises et leurs impacts avec les conséquences que la société civile supporte dans son quotidien.

Ainsi, lorsque l’actuel Président de la République impose, aux collectivités territoriales, une contractualisation afin d’empêcher d’éventuelles dérives des dépenses publiques locales il agit à l’encontre de notre Constitution.

Chacun sait, ici, que j’ai été un farouche opposant à cette contractualisation, appelée Pacte de Cahors, non parce que je serai laxiste en matière de finances publiques

locales mais parce qu’il s’agit d’une atteinte au principe de libre administration des collectivités tel qu’il est garanti par notre Constitution.

Vous le savez, les collectivités sont astreintes à la règle d’or qui leur impose de présenter des budgets à l’équilibre.

C’est une très bonne chose que je défends.

La contractualisation proposée a, comme effet pervers, de limiter la capacité d’investissement des collectivités qui sont, aujourd’hui, le principal moteur de l’investissement public dont les entreprises, au niveau local, bénéficient en premier lieu.

Ce débat est crucial dans un pays où les collectivités assurent l’essentiel de l’investissement public entre 70% et 75% du volume total.

De fait, l’investissement des collectivités génère un véritable effet multiplicateur dont bénéficient les entreprises. Ainsi, selon le FMI, l’effet multiplicateur d’un investissement public financé par l’emprunt dans les pays développés serait de 1.0 au bout d’un an et de 1.4 au bout de trois ans.

Pour le dire autrement et de façon plus claire, une hausse de 1% de l’investissement engendre une hausse de 1.0% du PIB au bout d’un an et 1.4% au bout de trois ans.

Pour la France, l’Insee estime ce coefficient multiplicateur à 1.1 au bout d’un an et 1.3 au bout de trois.

Ces évaluations confirment que les effets sont plus forts à long terme.

Alors, lorsque la contractualisation proposée a comme conséquence directe de venir amputer la puissance d’investissement des collectivités territoriales cela se traduit par des commandes moins importantes et par une menace directe et durable sur l’emploi.

Faut-il se taire ?

Ainsi, lorsque Saint-Etienne Métropole met en place un vaste et ambitieux plan de relance de 320M€ afin d’apporter un soutien concret aux communes membres qui peuvent financer des projets structurants, nous répondons présents !

De même, en prenant la décision d’un doublement de nos capacités d’investissement qui passent à 800M€ pour le mandat en cours, nous répondons présents !

Permettez-moi d’illustrer mon propos à l’aide d’un autre exemple qui concerne les associations.

Les contrats aidés ont été supprimés d’un simple trait de plume, du jour au lendemain, sans aucune concertation préalable.

Qu’il faille en revoir le principe cela s’entend. Nous devons faire de ces contrats de véritables leviers en faveur d’un emploi durable et économiquement justifiable.

Pour autant, ces emplois concernaient prioritairement le tissu associatif. Cette décision a lourdement touché les associations qui œuvrent, quotidiennement, pour le renforcement du lien social dans nos communes.

Elles ont ainsi perdu de manière quasi immédiate des moyens humains, donc ont vu amputée leur capacité à constituer ce filet de sécurité indispensable au maintien de notre cohésion sociale.

La pandémie a démontré l’utilité de ce filet protecteur. Cependant, quelle que soit l’utilité de ce filet, il est impossible de demander aux communes de se substituer aux dispositifs de l’Etat sans que leurs finances ne soient mises en danger.

Faut-il se taire ?

Vous le voyez, au travers de ces deux exemples, les décisions prises à Paris ont un impact direct. La gestion de la pandémie, parfois hésitante, est venue démontrer qu’il est indispensable d’approfondir le dialogue entre les collectivités et l’Etat.

Le prochain acte fort de la décentralisation concernera la qualité même des capacités d’action de nos collectivités, au service des acteurs locaux, pour construire un nouveau modèle de développement territorial local.

Un élu local, à fortiori un maire, vit le quotidien de ses concitoyens au plus profond de son âme.

Il sait de quoi est fait ce quotidien et il en partage tous les aspects.

Le maire que je suis ne peut se taire lorsque les politiques publiques prennent une mauvaise direction. Une direction qui ampute notre capacité d’action et ne permet pas aux entreprises de jouer pleinement leur rôle.

Le maire que je suis ne saurait se taire si les politiques publiques deviennent injustes remettant en cause notre tissu social.

Il est important de comprendre que loin de s’opposer, le tissu économique, d’une part, et, de l’autre, celui social sont parfaitement complémentaires.

Une politique publique devrait être jugée à l’aune de sa capacité à concilier ces deux objectifs que sont l’efficacité économique et la justice sociale.

Sans cette complémentarité, les politiques publiques peuvent tourner au désastre et finissent par contribuer à la fragmentation de la société.

* * *

Ne croyez pas que cette idée de ce que doit être une politique publique juste soit une abstraction d’intellectuel ou universitaire.

Nous avons tous à l’esprit la crise des Gilets jaunes de 2018 et ses prolongements toujours plus ou moins présents dans notre vie quotidienne.

Certes, l’idée de favoriser la transition écologique est juste. Les entreprises et les collectivités sont conscientes de leurs devoirs envers les générations futures et font le nécessaire pour relever le défi.

Pour autant, en 2018, des millions de Français, parmi les plus modestes, ont eu le sentiment d’être pris en otages par la hausse de la fiscalité sur les carburants.

Comment assumer cette hausse lorsque vous êtes obligés de recourir à un véhicule pour aller travailler ?

Comment assumer, du jour au lendemain, le rôle du mauvais citoyen alors que vous savez que vous n’avez aucune autre solution ?

Comment assumer cette modification des comportements si vous ne pouvez pas faire face aux fins de mois ?

Comme disait Coluche :

«A la maison, c’était les fins de mois qui étaient difficiles. Surtout les trente derniers jours !» Oui, ces choix absurdes ont été faits au mépris de la réalité sociale de la France. Plus précisément de la perception de la réalité sociale par les Français.

Car, encore une fois, beaucoup de choses ont été dites au moment de cette crise sans qu’elles soient réellement vérifiés dans les faits.

Pour nous en tenir aux chiffres connus, en France, entre 1975 et 2016, le niveau de vie médian après redistribution a augmenté de 56% ; il a progressé de façon continue de 1975 au milieu des années 2000 et stagne depuis la crise de 2008.

En revanche, le niveau médian qui s’établit, en 2018, à 1771€ mensuels (une moitié de la population vit au-dessus, l’autre moitié en dessous) est pratiquement le même à prix constant qu’en 2008.

Stagnation du revenu, sans doute stagnation du pouvoir d’achat qui pèse sur le moral des Français.

Pour autant, l’Etat-Providence continue de jouer à plein son rôle d’amortisseur social,

néanmoins, en dépit de ces performances, les Français restent persuadés que leur niveau de vie se dégrade.

Or les choses ne sont pas aussi simples.

Pour bien comprendre il faut se souvenir qu’avant impôts et prestations sociales, selon l’INSEE, le rapport entre le revenu moyen des 10% les plus riches et celui des 10% les plus modestes est de 21,1.

Après impôts et prestations sociales, ce rapport tombe à 5,7.

Grâce à la redistribution qu’opère le système fiscal français, l’inégalité entre ces deux extrêmes de la distribution des revenus est donc divisée par plus de trois.

Ceci démontre l’importance économique et sociale de notre système fiscal et de redistribution auquel on ne peut toucher qu’avec un luxe de précautions.

En effet, si le système permet d’atténuer puissamment les inégalités, venir en modifier les équilibres, sans un travail préalable de négociation avec l’ensemble des partenaires

sociaux, n’aura d’autre effet que creuser le sentiment des Français de vivre dans un pays inégalitaire.

De fait, il est essentiel de comprendre, comme le montre François Dubet dans son ouvrage « Le Temps des passions tristes» que ce qui compte c’est le ressenti des Français à l’égard des inégalités :

« C’est moins l’ampleur des inégalités que la transformation du régime des inégalités qui explique les colères, les ressentiments et les indignations d’aujourd’hui».

Pour le dire simplement, et on excusera les raccourcis pris, depuis la révolution industrielle, les inégalités étaient bien «structurées», par les classes sociales, opposant, pour reprendre une sémantique marxiste, possédants et exploités, ou si on préfère bourgeois et ouvriers.

Le combat contre les inégalités s’inscrivait dans un double champ.

Sur le plan social, les luttes collectives portées par les syndicats les opposaient aux représentants des entreprises.

Sur le plan politique, le clivage politique droite-gauche recouvrait aussi, de façon pertinente, cette opposition.

Depuis une quarantaine d’années, avec la mondialisation, les mutations d’un capitalisme tendant à se financiariser de plus en plus, ont profondément bouleversé ce régime de classe, comme le souligne toujours François Dubet :

«À la dualité des prolétaires et des capitalistes, à la tripartition des classes supérieures, moyennes et inférieures, se sont ajoutés de nouveaux groupes : les cadres, les créatifs, les cosmopolites mobiles et les locaux immobiles, les inclus et les exclus, les stables et les précaires, les urbains et les ruraux, les classes populaires et l’underclass ».

Quelle est la conséquence directe de ces transformations de notre système capitaliste qui peine tant à s’adapter aux règles de la mondialisation ?

Les inégalités se sont individualisées, elles sont vécues sur le plan individuel et non plus en tant que membre d’une classe sociale, d’un parti politique ou d’un syndicat.

Les revendications sociales qui découlent de cette situation sont de plus en plus une collection de demandes individuelles extrêmement disparates dont leur transposition à la fois dans le champ du dialogue social et de l’opposition politique devient de plus en plus difficile.

Ces colères sociales découlent de ce sentiment d’injustice, souvent déversées sur les réseaux sociaux ou sur les ronds-points et qui alimentent les mouvements populistes.

François Dubet concluant de la sorte : « La capacité de dire publiquement ses émotions et ses opinions fait de chacun de nous un militant de sa propre cause, un quasi-mouvement social à soi tout seul».

Voilà pourquoi, il y a près d’un an, dans une tribune parue dans Le Monde j’ai mis en garde contre les risques découlant de cette extrême fragmentation de la société française.

Des risques économiques et sociaux, que nous connaissons tous mais aussi des risques politiques qui nous conduiraient dans une impasse. Les Français vivent une crise éthique qui altère et détruit toute leur confiance dans la chose publique. Rarement, dans notre histoire, nous avons connu une telle crise morale.

Pourquoi ?

Aujourd’hui, nombre de nos compatriotes se sentent dépassés par une modialisation qui, pour eux, n’a rien d’heureux.

Face à des classes sociales volant en éclats, face à des repères historiques s’effondrant et face à un espace politique complètement bouleversé, nos concitoyens se demandent comment structurer leur existence.

Cette question est posée avec d’autant plus d’appréhension qu’ils ressentent que même le dernier repère social visible, le travail, leur échappe de plus en plus.

Dans une vision néolibérale qui s’impose progressivement, effaçant tout débat politique, ils ressentent que la seule chose qui peut les sauver c’est l’utilité qu’ils représentent sur le plan professionnel.

Un univers qui est soumis, lui aussi, à de profonds changements, notamment par le biais de la révolution numérique, et dont il serait illusoire de croire qu’ils n’emporteront pas de profondes modifications sur le plan de l’organisation de la société elle-même.

Or, la principale caractéristique de la révolution numérique est qu’elle ne laisse pas le temps, contrairement à la révolution industrielle, d’évoluer et de changer.

Les transformations de notre système productif et social, depuis une quarantaine d’années n’ont rien de comparable, dans leur rythme, à ce qu’ont vécu nos devanciers lors de la révolution industrielle.

Surtout, ces évolutions économiques et sociales s’accompagnaient de profondes transformations politiques qui ont trouvé leur prolongement dans l’organisation de la société.

Ainsi, il est apparu évident qu’il était illusoire de parler de libertés politiques si elles n’étaient pas portées par un niveau de vie suffisant permettant au plus grand nombre de vivre dignement.

D’évolutions sociales qui permettraient de réformer sans devoir emprunter la voie toujours dangereuse d’une révolution.

La solidarité est ainsi intrinsèquement liée à la construction de notre modèle républicain puisqu’elle en constitue le ciment.

Dès la fin de la seconde guerre mondiale, notre modèle social a trouvé un équilibre permettant une élévation constante du niveau de vie ainsi qu’une stabilisation sociale.

Un modèle social qui, puisant ses racines dans la vision d’Emile Durkeim, fait de la solidarité un devoir éthique pour chaque citoyen.

Le Général De Gaulle saura en faire un outil de promotion politique permettant de construire un réformisme pragmatique ouvrant la voie à un meilleur partage des fruits de la croissance.

Néanmoins, avec la crise des années 70 il est devenu évident qu’il fallait moderniser et réformer notre modèle social pour lui permettre de garder son efficacité gage de notre cohésion nationale.

Au même moment, progressivement, avec la financiarisation de notre économie, la logique entrepreneuriale s’est effacée au profit d’une logique managériale.

La création de richesse n’avait plus autant d’importance que la création de valeur.

On connaît tous l’enseignement de Milton Friedman qui soutient que l’entreprise n’a qu’un seul et unique objectif : faire des profits.

Conjugué à la vision utilitariste de Friedrich Hayek, pour qui l’intérêt général n’est qu’une construction artificielle, nous avons basculé dans un monde où la valeur humaine se mesure à l’utilité que chacun apporte au processus de création de valeur au sein de l’entreprise.

Dans un tel univers, le travail s’est trouvé déprécié et a vu son statut philosophiquement dégradé. La seconde guerre mondiale avait permis de comprendre, avec la déshumanisation des individus que le travail ne pouvait plus être considéré comme une marchandise.

Cette idée que le travail concourt à la dignité de l’homme est issue de la Déclaration de Philadelphie de 1944 et se retrouve, dans le Préambule de la Constitution de 1946, que le Général De Gaulle a conservé à son retour aux affaires en 1958.

Aujourd’hui, ce texte est partie intégrante de notre bloc de constitutionnalité, il consacre les droits sociaux de tous les Français.

En faisant du travail une simple marchandise, on accrédite l’idée qu’il est interchangeable et qu’en définitive tous les emplois se valent.

 

Faut-il chercher plus loin les raisons qui justifient cette phrase devenue célèbre : «Vous n’avez qu’à traverser la rue pour trouver du travail » !

Cette logique néolibérale est totalement étrangère à la trajectoire libérale et humaniste de notre histoire politique depuis 1789.

Cette logique s’est imposée faisant du travail une variable d’ajustement destinée à garantir la création de valeur et donc le niveau des bénéfices à court terme.

Ce faisant, une partie de nos compatriotes, se sentant sans cesse délaissés et éprouvant le sentiment d’inutilité et de déclassement devant les conséquences de la mondialisation. Sont-ils économiquement viables ? Plus exactement, sont-ils des acteurs de cette création de valeur qui semble seule retenir l’attention de tout le monde ?

Il est évident, que la révolution numérique aidant, nombre de ces personnes ne répondent plus à cette définition.

Ce n’est pas là le moindre des paradoxes de notre époque. Alors qu’en 1989, le communisme s’effondrait sous le poids de ses incohérences économiques internes, la financiarisation de l’économie pourrait bien finir par lui donner raison grâce à la constitution d’un authentique sous-prolétariat que Marx avait prophétisé.

Une armée de réserve, déclassée socialement, économiquement non viable et politiquement à la dérive qui devient la proie de choix de tous les populismes.

Longtemps, nous avons pensé que le Rassemblement National détenait le monopole de ce vote populiste, mais depuis une dizaine d’années d’autres sont venus proposer une offre alternative.

Aujourd’hui, que ce soit Jean-Luc Mélenchon ou Eric Zemmour, ils rivalisent pour imposer des solutions clefs en main profitant de la fragmentation de la société et de son désarroi moral.

Aujourd’hui, nombreux sont ceux qui, dans mon parti, confondent solidarité et assistanat et réduisent la première à une forme de « cancer » de la société.

Nombreux sont ceux qui prônent l’union des droites, véritable piège tendu par l’extrême-droite qui rêve, depuis plus de 70 ans, de solder ses comptes avec cette République qu’elle déteste tant.

Alors oui, il serait stupide de nier les problèmes de la France.

L’excès de normes administratives, la peur de déplaire aux pouvoirs en place, un système social qui n’a pas été en mesure de se moderniser sans renier ses valeurs fondamentales et des élites se reproduisant à l’identique.

Oui, nous sommes très proches de ce « culte du beau papier» que Marc Bloch dénonçait comme une des causes de l’étrange défaite de 1940.

Trop de tampons et autres formulaires qui finissent par étouffer tout esprit d’initiative.

Si vous bridez les créateurs alors vous freinez les locomotives qui doivent nous conduire vers une nouvelle prospérité.

Mais, pour cela, nous devons impérativement accepter que notre monde change sous les effets de la révolution numérique.

J’ai longtemps plaidé, au sein de mon parti, pour qu’on prenne la mesure de cette évolution majeure qui affecte le travail.

Comment croire un seul instant que le travail n’est pas transformé profondément par ces changements rendus possibles par la révolution numérique ?

Là où nous avions besoin de 100 ouvriers, demain nous n’aurons plus besoin que de 10 ou moins.

Ceci pose clairement la question de la gouvernance des entreprises. Là aussi, j’ai longtemps plaidé, en vain, pour que nous reprenions la voie esquissée par le Général De Gaulle : celle de la participation.

Peut-être que ces questions ne se poseraient pas avec une telle acuité si le processus classique de destruction-création, que nous connaissons tous depuis Joseph Schumpeter avait fonctionné comme à son accoutumée.

Poser le problème nous conduit à chercher des solutions. La participation permet à la fois de construire une réponse sur les conditions de travail au sein de l’entreprise, l’implication des salariés dans la définition des choix stratégiques, un meilleur partage des fruits de la croissance et un équilibre différent entre l’entreprise et son environnement économique et social.

J’ai la faiblesse aussi de penser que la participation sera, demain, un des leviers essentiels pour assurer, de manière intelligente, la transition écologique qui nous ouvrira les portes d’une croissance sans doute plus sobre mais certainement pas moins profitable.

Nous devons réagir et agir rapidement car si les processus classiques ne sont plus opérationnels alors demain ceux qui risquent de rester au bord de la route seront de plus en plus nombreux.

La logique financière de notre monde, alliée à la capacité technologique d’effacer l’homme de l’équation de la production de valeur, contribue au renforcement du sentiment d’inutilité de l’homme.

L’homme prend ainsi conscience que l’univers technique dans lequel il vit donne naissance à un monde où sa place n’est plus garantie.

Pour reprendre le titre d’un ouvrage célèbre de Gunther Anders, nous voilà confrontés à « L’Obsolescence de l’homme ».

La technique, pour la première fois dans l’histoire de l’humanité, définit un univers où la présence de l’homme si elle n’est pas complètement superflue n’en deviens pas moins marginale.

Comment réfléchir aux évolutions de la société, lorsqu’on se prétend un grand parti de gouvernement, en se contentant d’ânonner, depuis plus de trente ans, les mêmes lieux communs sur la « valeur-travail » ?

Si vous couplez cela au glissement vers les thèses de la droite identitaire, vous comprendrez aisément pourquoi il m’était impossible de garder le silence.

Pour le dire simplement et de manière directe, nous sommes à la fois à côté de la plaque dans nos analyses sur les évolutions de la société puisque nous ignorons les changements essentiels qui affectent le travail et nous répondons, politiquement, par le reniement des nos valeurs républicaines au profit de celles d’une droite identitaire rétrograde.

Ces changements profonds qui affectent le travail remettent en cause de très nombreux aspects de notre société.

Comment appréhender la création de valeur ?

Comment imaginer la formation supérieure et son pendant de la formation professionnelle ?

Comment repenser la fiscalité attachée à la production ?

Comment repenser, bien entendu, les prélèvements sociaux destinés au financement de notre système de solidarité ?

Comment penser la place de l’homme dans cette société où le travail sera de plus en plus délégué à la machine ?

Ces questions restent, ce jour, sans réponse tant de la part des tenants du modèle néolibéral que de ceux qui croient voir dans l’identité la réponse à tous les maux de notre temps.

Gaël PERDRIAU

Maire de Saint Etienne